Avant de commencer cet article, je me permets de faire un disclaimer qui, je l’espère, va s’avérer utile. Il y a un an, j’étais diagnostiquée Bipolaire type II par une psychiatre, et ce diagnostique a été depuis confirmé deux fois au sein de deux établissements différents. Bien que je parle de mon expérience en deuxième partie de cet article, je tiens à préciser qu’un diagnostique de bipolarité définitif se fait en sept ans de psychothérapie. Il n’est alors pas impossible qu’au cours des prochaines années, mon diagnostique soit revu, corrigé, annulé. C’est pourquoi ce que je raconte ici n’est pas à lire comme une parole divine, il s’agit simplement d’un article informatif le plus complet possible, et vous êtes évidemment invités à me faire savoir les erreurs que je peux commettre.
Ce qui m’a motivé il y a six mois à commencer ce travail de recherche est une forme de frustration face à la relative absence de dossiers complets et accessibles sur le sujet en langue française. En effet, les informations que je vais développer ci dessous sont des traductions de sources anglophones telles que vidéos Youtube, articles scientifiques, conférences de psychiatres, documentaires, etc. En tant que patiente qui soutient l’auto-diagnostique, je trouve la démocratisation de l’information sur les maladies mentales essentielle. L’accès à des informations simples, organisées et complète permet aux patients de ne pas être en position de faiblesse par rapport à des psychiatres et autres professionnels de la santé souvent abusifs. Personne ne vous connait aussi bien que vous-même; se renseigner sur sa maladie, c’est apprendre à mieux en déceler les symptômes et à mieux la gérer au quotidien.
Ne veut pas être défini par le trouble bipolaire
Se sent beaucoup mieux en s'y identifiant
Les troubles de l'humeur: généralités.
Il faut savoir que le terme de “psychose maniaco-depressive”, longtemps utilisé, a été modifié puis supprimé dans le DSM V (la bible des trouble mentaux pour les professionnels de la santé mentale). On préfère désormais trier les maladies sous forme de “spectre”: spectre des troubles anxieux, spectre des troubles de la personnalité, spectre des troubles de l’humeur… Cette notion de “spectre” indique une certaine porosité entre les différents diagnostiques possibles, de telle sorte à ce que l’on fasse plus attention aux nuances.
Dans le cas des troubles bipolaires, le diagnostique est souvent long et difficile. Il n’est par exemple pas rare que l’on confonde bipolarité et trouble de la personnalité borderline, car les deux maladies présentent de nombreuses similitudes. Ce qui distingue les troubles de la personnalité des troubles de l’humeur, c’est justement leur nom: chez les borderline, par exemple, la maladie et ses symptômes fait partie intégrante de la construction de la personnalité du patient; ainsi, les médicaments trop dosés auront tendance à complètement anihiler la personne, et à changer son comportement de manière drastique. Concernant les troubles de l’humeur, c’est donc la façon de ressentir et d’exprimer ses émotions qui varie en permanence.
Pour pouvoir se soupçonner bipolaire, il faut selon moi prêter une attention extrême à ses humeurs, et à leur évolution dans le temps. Pour se faire, ma première psychiatre m’avait conseillé de tenir pendant un mois un Mood Tracker comme celui-ci. Vous pouvez aussi le faire sous forme de graphique, ou utiliser des applications. Le suivi et l’analyse régulière de vos changements d’humeur est essentiel pour le diagnostique, et pour choisir le bon type de médicament. Encore aujourd’hui, j’ai dans mon Bullet Journal un moodtracker que je colorie tous les jours, et qui me permet, par exemple, de constater que je me suis sentie suicidaire 5 fois ce mois-ci, ce qui est plutôt élevé, et que la majorité de mes journées sont caractérisées par une humeur dépressive ; ce qui fait sens pour mon diagnostique, mais j’y reviendrais plus tard.
La bipolarité peut se “déclencher” à deux moments charnière dans la vie: entre 20 et 25 ans, ou entre 40 et 50 ans. La plupart du temps, des symptômes sont présents en amont, mais la maladie devient handicapante véritablement autour de ces âges-là. L’hérédité est extrêmement fréquente chez les bipolaires. En ce qui me concerne, je suis au moins la 3ème atteinte de cette maladie du côté de ma mère, et la deuxième du côté de mon père; on m’a donc élevé dans l’idée que j’avais un “terrain psychologique fragile” qui expliquait mes comportements dépressifs et “anormaux” durant mon enfance/adolescence. Certaines personnes restent toute leur vie avec un trouble “endormi” dans le cerveau, une inclinaison à la bipolarité qui ne s’avère pas handicapante, ou qui laisse le pas à un autre diagnostique. Ma sœur a ainsi été diagnostiquée avec un trouble anxieux généralisé à ses 18 ans, après avoir été soupçonnée de bipolarité et de schizophrénie par des psychiatres.
On parvient à établir un premier diagnostique lorsque la maladie se déclenche de deux façons différentes: après un événement traumatisant, ou en réaction à une prise d’anti-depresseur. Dans mon cas, ce fut les deux. Je ne me souviens pas avoir un jour été heureuse plus de quelques jours, et j’étais dans une phase de sévère dépression depuis 9 mois quand mon meilleur ami s’est suicidé en mai 2015. D’après ma psychiatre, cet événement a fait l’effet d’un tremblement de terre dans mon cerveau, comme si je refoulais tout mon mal-être et mes traumas dans un point d’eau sécurisé par un barrage, et que le barrage avait éclaté, laissant place à une inondation. A partir de ce moment-là, j’ai commencé à aller pire qu’avant: de plus en plus d’agoraphobie, de changement d’humeur, de tentatives de suicide, de crises d’angoisse, de troubles alimentaires… C’est toute cette instabilité qui m’a motivé à aller voir pour la première fois une psychiatre en septembre 2015. Elle m’a immédiatement diagnostiquée d’un Syndrome de Stress Post-Traumatique et d’une dépression sévère. J’ai commencé les anxiolitiques (xanax) et des antidepresseurs (prozac) fin septembre. En plus indénombrables effets secondaires invalidants, l’antidepresseur a déclenché chez moi plusieurs phases dites hypomaniaques. C’est donc en octobre 2015 que j’ai été diagnostiquée Bipolaire de type II. Un mois après, j’étais en hôpital psychiatrique.
Enfin correctement diagnostiquée
"eh bien, tout s'explique."
Bipolaire type II, Ça veut dire quoi?
Avant d’aborder mon diagnostique et mon témoignage, il faut pouvoir faire la différence entre les “catégories” de troubles de l’humeur.
On distingue à ce jour quatre catégories, distinguées par la fréquence, la durée et l’intensité des phases du patient:
- Bipolaire type I: caractérisé par un épisode maniaque de plus de 4 jours consécutifs, et d’un épisode dépressif de plus de deux semaines entrecoupé de période stable.
- Bipolaire type II: caractérisé par un épisode hypomaniaque de plus de 4 jours consécutifs, et d’une humeur dépressive quasi-constante.
- Cyclothymie: Longues phases d’hypomanie et de dépression moyenne qui se succèdent sans pause, souvent provoqué par les changements de saison.
- Trouble bipolaire non spécifié
Un patient connaîtra en moyenne huit phases maniaques ou dépressives dans sa vie, sauf s’il est atteint du “trouble de cycle rapide”, qui se caractérise par la présence d’au moins quatre épisodes différents parmi l’hypomanie, la depression, l’apathie et l’épisode mixte au cours d’une année.
Le Type 1 est généralement le plus facile à diagnostiquer car les phases de manie sont souvent visibles et remarquées par l’entourage. Elles se caractérisent par une élévation anormale de l’humeur, un rythme de sommeil instable, énormément d’insomnies, une immense confiance en soi, de l’irritabilité, des réactions violentes, des idées grandiloquente, une grande créativité et productivité, un débit de parole accéléré, des plans impossibles à réaliser, une méfiance inhabituelle envers son entourage voir même de la paranoïa et des hallucinations dans les cas les plus graves. La plupart du temps, un épisode maniaque est progressif: moins le patient dort, plus son humeur s’élève, plus ses actes deviennent inquiétants voir dangereux. Un épisode se solde presque automatiquement par une hospitalisation, durant laquelle on administre au patient de grandes doses de thymorégulateurs, antipsychotiques et anxiolytiques, afin d’”éteindre” le cerveau. L’hospitalisation suite à un épisode maniaque est d’une durée de minimum 10 jours, et il est important que le patient soit pris en charge à la sortie de hospitalité afin de diminuer progressivement les doses des médicaments, sans quoi le retour “à la normale” sera impossible.
Phase maniaque: reblog tout et poste tout ses selfies
Dépression: écrit des textes personnels tristes pour les effacer immédiatement
Diagnostiquer un Type 2 est beaucoup plus compliqué. Seul le type 1 peut atteindre le stade de manie, tandis que le Type 2 atteint un stade que l’on appelle “hypomaniaque”. Ces phases se caractérisent également par une grande confiance en soi, une flux de pensée beaucoup plus rapide, un débit de parole accéléré, un mépris des conventions sociales et de la diplomatie, irritabilité, impatience, insomnies, sociabilisation exacerbée, extraversion, une grande productivité et créativité, et une inclinaison à adopter des comportements dangereux (alcools, drogue, hypersexualité…).
Hypomanie: je ne sais pas ce qu'il se passe, mais ça m'excite.
D’après Michel Bourin, psychiatre, la difficulté à diagnostiquer le type 2 vient du fait que l’hypomanie n’est pas perçue comme pathologique mais, au contraire, avantageuse socialement à cause de l’hypertravail qui est valorisé par la société capitaliste. La question à poser au patient est alors: “comment vous sentez vous lorsque vous n’êtes pas déprimés?”. En effet, la dépression est l’humeur par défaut du Type 2, contrairement au type 1 qui est capable d’émotions “normales” comme la tristesse, la joie ou une certaine neutralité. Bien souvent, le patient prend l’hypomanie pour son visage sain, puisqu’il ne ressent violemment que les phases dépressives et les épisodes mixtes, durant lesquels l’énergie de la manie est investie dans des comportements auto-destructeurs et suicidaires.
Ce qui distingue les bipolaires des autres troubles psychiques est donc principalement ce gouffre permanent entre trop et pas assez d’énergie. C’est ce qui rend le trouble difficile à vivre pour le patient, qui se sait imprévisible, instable, et donc s’identifie systématiquement comme un poids au sein d’un groupe.
Les travaux de groupe en phase depressive:
Toujours en train de s'excuser pour son rythme lent de travail
Cette oscillation constante de l’humeur est souvent la cause de troubles comportementaux alimentaires, mais aussi d’une tendance à l’alcoolémie, la toxicomanie, la nymphomanie, etc.
Par ailleurs, les idées suicidaires font partie intégrante de la maladie. C’est d’ailleurs la plus grande cause de mortalité chez les bipolaire, sachant que 20% des tentatives se soldent par une réussite. Si les idées suicidaires sont présentes en permanence dans les phases dépressives, c’est les épisodes mixtes qui sont les plus inquiétants, car ils se caractérisent par l’apparition de pulsions suicidaires, souvent incontrôlables et irréfléchies.
Selon Michel Bourin, le suicide des bipolaires est souvent incompris par l’entourage éloigné du patient. On dira bien souvent qu’il s’agissait d’une personne “brillante”, “rigolote”, “travailleuse”, voir d’un “génie”.
Il est facile de comprendre ce décalage quand on prend en compte l’immense tabou qui régit l’univers des maladies psychiques. Les troubles de l’humeur font partie des troubles les plus discriminés dans le monde professionnel, mais aussi dans l’obtention de certains services ou diplômes, comme le permis. Il est fréquemment conseillé aux patients de mentir sur leur état pour ne pas avoir de problème (par exemple, mon certificat pour le relais handicap de l’université comprend l’expression “instabilité de l’humeur” et non mon diagnostique détaillé).
Le World Bipolar Day, qui a lieu chaque année le 30 mars, a été mis en place pour lutter contre ces discriminations et le tabou qui entoure cette maladie. Quelques extraits de la chaîne YouTube française:
les personnes bipolaires sont-elles handicapées?
les personnes bipolaires sont-elle dangereuses?
les personnes bipolaires sont-elles plus créatives?
Dans un prochain article, je raconterais plus précisément mon experience avec la bipolarité,
et je partagerais avec vous tout ce qui m'a aidé à vivre mon trouble au quotidien.
See you soon!
et je partagerais avec vous tout ce qui m'a aidé à vivre mon trouble au quotidien.
See you soon!